Alexandra Samouiller

Du crayon à la plume

En franchissant les portes du salon, à droite au fond de l’allée des formes sombres de part et d’autre des murs du stand, on imagine un travail graphique, de la peinture ou de la sculpture. Avant d’y parvenir, je me frêle un chemin parmi les visiteurs qui, comme moi, vont de stand en stand découvrir un nouveau monde à chaque fois. L’art se déploit sous de multiples formes ; de la peinture, de la sculpture,… Mon regard virvolte et se pose à nouveau sur ces formes au fond de l’allée qui m’avait intriguée dès mon arrivée. Se distinguent des animaux représentés sous différents formats. Figés dans la posture de la mort. Morbide. Certains visiteurs font la grimace en passant, d’autres ont l’air satisfait. Sur le mur central, deux têtes de chevaux sont entrelacés par leurs crins. à mesure que je m’approche, le réalisme de cette représentation m’attire vers l’oeuvre. Délicatement mon doigt touche ce crin que je pensais réel. L’artiste s’approche et d’un ton bienveillant, elle m’oriente : «c’est du dessin». Gènée par mon geste déplacé et surprise de l’illusion que je ne soupçonnais pas. Le dessin est bien là maintenant que je le regarde à quelques centimètres de mon visage. Il semble continue et se divise en un réseau de fils, de traits qui se superposent par endroit ou s’éloignent. La joue de l’animal est imposante. cette chair s’impose à moi comme si elle surpassait la surface plane. C’est bien plus que du dessin. Emmanuelle me montre des feutres fins et me racconte les souvenirs qu’elle choisit de matérialiser généreusement dans la série des animaux. Tout commence avec une chouette endormie éternellement qu’elle dessina «pour la garder». Le volatile semble déposer sur la feuille comme sur un coussin de neige ; sa forme s’évanouie délicatement dans le blanc du papier. Cette étrangeté dans le dessin nous renvoie au sujet de la disparition qui anime l’artiste. Cette mort que nous contemplons sous différentes postures animales n’est qu’une façon déguisée de nous renvoyer à notre propre finitude.

L’animal nous est proche quel que soit le rapport que nous établissons avec lui (ami ou alimentation). Je ne qualifie pas ce travail comme un appel à défendre les droits des animaux. C’est un prétexte pour son propos graphique. à l’heure où les technologies évoluent à toute allure, où nous perdons contact avec la réalité dans les sites virtuels, que représente l’acte de dessiner de notre propre main? Une manière d’être au monde. Dans la suite des peintres de la Renaissance, représenter la mort par ces propres outils (pinceaux, crayons) est un acte qui rappelle notre fragilité en tant qu'humain. Le boeuf écorché de Rembrandt montre l'art est un moyen de défier la mort (l'oubli du nom). Consciente de cela Emmanuelle n’ignore pas cependant les nouveaux procédés graphiques que l’on retrouve dans les logiciels tels que photoshop ou illustrator. Dans son travail, elle entreprend une première action : effacer l’image photographiée et ne retenir que ce qui l’intéresse : la forme de l’animal mort. Extrait de son contexte, elle va ensuite l’imprimer sur un fond blanc. Dans ce «vide», se trouve l’espace qu’elle va s’approprier en «laissant» courir le crayon. S’établit un dialogue entre le fond blanc et la forme colorée de la bestiole car les traits ne cernent jamais l’animal, ils s’évadent de sa forme première et donne un caractère «vivant» à l’ensemble. C’est là que la matière va surgir. c’est là que la main de l’artiste montre la vitalité d’un geste qui lui est propre. Les poils, les crins vont prendre forme au fil du temps que les épaisseurs des traits vont grossir, au point d’être à la limite du réel.

Du blaireau au zèbre en passant par la girafe en format A3, chacun est traité singulièrement avec l’espace de la feuille. L’impression «morbide» au premier regard s’évanouit car la démarche de l’artiste prend de l’ampleur. Du numérique à la feuille de papier, la mutltitude des traits exécutés ensuite montre la capacité de l’artiste à vivre avec les moyens de son époque sans oublier la technique ancestrale du dessin. C’est un travail vif qui est au contraire tourner vers la vie. Le dessin capture les souvenirs et peut être encore un moyen d’inscrire une trace de notre existence dans ce monde.

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