Christian Noorbergen

Emmanuelle Mason par Christian Noorbergen,

critique d’art et professeur de philosophie.

 

Emmanuelle Mason ensemence le vide de ses sublimes talismans abandonnés. Sa création est fabuleusement inventive, crue, cruelle, et comme dessinée au scalpel. Ainsi surgissent, dans l’impensable et dans l’irrécupérable, d’inouïs dessins déliés, aigus, aventureux, sidérants, et débarrassé de tout décor. Saisissants squelettes d’entités broyées, qui n’habitent plus, à jamais, que la fragilité du papier. Petites îles séparées, inhabitables et désolées, d’une effrayante proximité. Une indicible finesse, d’une infinie souplesse, les a jetées au-dehors.

Cartographie aérienne et ciselée d’une intériorité perdue, poignante et comme ouverte au rasoir, l’œuvre traverse en fantôme toutes les formes attendues. Chaque dessin, d’une minutie qui évide, invente des hybrides, des allusifs, et des inextricables. Chaque dessin est une fatalité. Le rappel poignant de l’animalité saccagée. Une mise à nu de l’existant. Une exploration scabreuse.

Dessins de misère d’être, aux identités broyées. Dessins déchiquetés d’entités éphémères, faits de lianes indéfinies, de crocs et de griffes, d’écailles et de courbes, pour tenter de vaincre le désastre en des lieux sans patrie, sinon celle des lignes, des traits vifs, et des signes. Tentatives ténues et instables de fuir l’enfermement du corps, en créant des corps en constantes transformations. Fascinantes saisies de ces instantanés fragiles, évacués durement de la réalité, et plus vrais que le réel.

Monstre-corps sans origine, sinon, effarante et mortelle, celle de la mémoire animale, exorcisée en métamorphoses ciselées, toutes arrachées aux pesanteurs, et déchirantes de pure présence.

Autrefois, la paroi nue sacralisait les secrets des partages charnels avec les animaux-dieux. Emmanuelle Mason sacre et fouille cette disparition. Elle mène à vif l’inavouable combat de l’homme avec ses sources oubliées et enfouies, et l’art naît de ce formidable affrontement. Elle ramène à l’effarement initial des premiers regards, quand l’enfance bouleversée de l’humanité épousait les premiers chocs du monde. Emerveillement terrible.