Jérémy Liron

Ouvrir le corps de l’image.

Diplômé de l'école des beaux-arts de Toulon, puis de celle de Paris, agrégé en arts plastiques, Jérémy Liron mène de front une carrière d'artiste — il expose depuis 1998 —, d'écrivain — il publie des fictions et des essais — et d'enseignant.

Il a participé à de nombreuses expositions collectives ou personnelles. Il est l'auteur d'estampes éditées par l'Urdla2 et par les ateliers Eric Linard.

Depuis 2006, son travail est présenté par la galerie Isabelle Gounod à Paris.

Sans doute existe-t-il une connivence – exploitons l’intuition – une sorte de relation profonde entre le dessin et ce que l’on pourrait appeler le corps ouvert. Quelque chose qui mène du tracé à la découpe, du trait à l’incise, de la silhouette à son ouverture. Quelque chose peut-être qui, dans ses lignes, lie son cerné, ses contours à son antre. Une dialectique à l’œuvre dans les anatomies et qui conjugue l’observation scientifique des vertiges du dedans à une inclinaison quelque peu malsaine ou morbide pour les lésions les plus monstrueuses, les épanchements les plus informes et leur suave désordre. La pratique du dessin, jusque dans la sensualité des plus lascives vénus, jusque dans les corps les plus tendus, qu’on y regarde de plus près encore, semble travaillée par cet « exercice de cruauté » qu’évoque Bataille en remarquant la fascination qu’exercent les images quelle que soit l’horreur qu’elles montrent – si ce n’est fascination depuis et à travers cette horreur. « Une sorte de détermination muette inévitable et inexpliquée, voisine de celle des rêves, écrit-il dans l’art, exercice de cruauté, a toujours obstinément, dans le cortège des figures qui formaient l’arrière-fond de fête de ce monde, les spectres fascinants du malheur et de la douleur. ». Et c’est cette ambivalence, cette dualité à l’œuvre dans le travail graphique qui emporte tout le travail d’Emmanuelle Mason. 

Une filiation ancienne court du stylet, du stylo, de la mine de plomb au poinçon à écrire (stilus), au stiletto du nervi aiguisé à débourser, à égorger. Filiation qui inciterait à penser là encore dans le geste graphique un mouvement en direction du corps, un mouvement voué au corps, à son expression, dans tout ce qu’il engage.

Est-ce que du fait que le dessin inévitablement dénude ? Et que cette dénudation se prolonge en un appétit où pulsion érotique et thanatonique se conjuguent nécessairement en un exercice au moins mental d’autopsie, d’éventrement, de carnage? L’ouverture radicale sur les paysages internes étant alors viser le fond des choses, ce qui, dans l’informe surgissement des viscères, dans la fourmilière des réseaux, l’inquiétante étrangeté des chairs affirmerait une ultime vérité ? « Un monde dans lequel la mort seule a le pouvoir de m’introduire », écrit encore Bataille en introduction des Larmes d’Eros. – Outil de connaissance, extrémité aigue de la pensée en acte, les surréalistes lui demandèrent, sous sa forme automatique, débridée, de répondre des confusions dans les obscurités inconscientes comme l’on demandait aux oracles de lire les auspices en traçant dans le ciel l’aire du temple, et en fouillant les viscères des oiseaux qui devaient y traverser. – Est-ce qu’entant que manifestation aigue du désir, le dessin se trouve nécessairement traversé de toutes ses ambivalences, de toutes ses tensions internes, apte plus que tout autre moyen à la transgression des limites ?

Les dépouilles animales desquelles Emmanuelle Mason se laisse suggérer d’amples paysages comme les pierres que l’on dit « à images » étalent quand on les tranche de fascinantes étendues fluides sont aussi une manière d’aborder à l’Homme. A notre propre rapport au corps, à ce « fond des choses » en ses agitations viscérales. Il y a une extrémité qu’aura débusqué Lacan : il n’ y a pas d’image du corps sans agressivité. Ces larges dessins – poursuivons l’hypothèse – ne seraient alors que le déplie, la dilacération de notre propre imagination.

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